Qu’est-ce qu’un pantoun ?

La forme est très simple : le pantoun est un quatrain à rimes entrecroisées, ab-ab. Les pantouns malais présentent en plus un très grand parallélisme phonique entre les deux distiques (ou, plus exactement, parallélisme de sonorités entre les vers a d’une part et entre les vers b d’autre part). Difficile à rendre dans une langue bien moins sonore comme le français. Il n’empêche : la présence de quelques échos sonores entre les deux parties du poème est comptée comme un plus.

Mais ce qui fait la grande originalité du pantoun – et son charme – c’est que les deux distiques ont chacun un rôle différent. C’est le deuxième distique qui exprime le véritable sens du poème, parlant d’amour, de passion, de trahison, ou exprimant plus généralement tout sentiment humain ou quelque sagesse proverbiale. Le premier distique, quelquefois appelé miroir du sens, est une annonce, une introduction, il est allusif, prépare, crée l’atmosphère, l’ambiance, et est souvent une belle image poétique tirée de la nature.

Voici ce qu’en dit Henri Fauconnier dans son roman Malaisie (1930) : « Les deux premiers vers d’un pantoun ne sont qu’une préparation à l’idée qui va s’épanouir dans les suivants. Cela crée l’atmosphère sans avoir la crudité d’une métaphore ».

Georges Voisset donne une définition peut-être un peu plus universitaire dans un article de Wikipédia et dit, entre autres, ceci : …ce qui fait son originalité absolue parmi les genres brefs est sa division en deux parties. La première, le « pembayang » (ombre portée, en Malaisie) ou « sampiran » (corde, en Indonésie), est un tableau d’ordre objectif, descriptif, mais qui indique, oriente le sens qui sera révélé dans le distique suivant, le « maksud », ou « sens » qui est lui d’ordre proverbial ou subjectif, ou les deux.

Par exemple :

La sangsue, d’où s’en vient-elle donc ?
– De la rizière, elle descend au canal.
Et l’amour, d’où s’en vient-il donc ?
– Des yeux, il descend jusqu’au foie.

(trad. G. Voisset)

Le noyau actif du genre pantoun n’est donc pas son organisation en quatrain à rimes croisées… mais réside plutôt dans la notion même d’image et qui fonctionne en réalité entre les deux moitiés comme une analogie. Analogie qui ne doit pas être trop évidente – sinon on a une simple réduplication du sens ; ni trop absconse – sinon elle disparaît. On peut apprécier sans trop de mal l’analogie dans le pantoun précédent.

Quant à François-René Daillie, autre spécialiste du pantoun, aujourd’hui disparu, il dit ceci : « Si le maksud (le deuxième distique) est l’expression concise et elliptique de sentiments ou de sensations, le pembayang (le premier distique), malgré son caractère concret (et j’ajoute : peut-être justement à cause de lui) baigne de poésie tout le pantoun.

Voici quelques pantouns malais d’origine, traduits en vers libres français, qui illustrent cette relation subtile entre les deux distiques :

Pantouns cités par Henri Fauconnier dans Malaisie :

Fourmis rouges dans le creux d’un bambou,
Vase rempli d’essence de rose…
Quand la luxure est dans mon corps
Mon amie seule me donne l’apaisement.

Planter le riz sur la colline de Jeram…
Planter, puis se reposer sur un rocher…
Comment le coeur ne serait-il réchauffé
A voir un sein sous le voile écarté ?

Papillons volant deci-delà
Volant sur la mer à la porte des récifs
Pourquoi ce trouble dans mon coeur,
Qui vient de loin, qui dure encore ?

Pantouns traduits par Georges Voisset :

Son préféré :

Mille colombes passent en un vol
L’une se pose au milieu du terrain
Je voudrais mourir au bout de tes ongles
Pourvu qu’on m’enterre au creux de ta main

Et puis ces pantouns que G. Voisset a appelés pantouns de sagesse :

Quand il y a une aiguille qui casse
On ne la garde pas dans la boîte
Quand il y a un mot qui blesse
On ne le garde pas dans son cœur 

Citrons sauvages citrons verts
Mûris aux bords du Port Rama
Le tigre mort les rayures restent
L’homme mort le nom restera

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