Sélection Village

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D’Aiguebelette à l’île de Beder, de Bretagne aux Monts du Lyonnais, de Normandie à Righi ou de Hong Kong à Vancouver … chacun a son village blotti au fond de sa mémoire :

Combien de ruelles planquées,
Combien de discrètes maisons ?
Combien de sentiments cachés
Combien de secrètes passions
Cédric Landri

Et par la magie d’une revue franco-malaisienne le lien se tisse et se déroule au-delà des frontières. Les villages éparpillés sont à l’honneur dans cette sélection de Pantoun Sayang

Merci à toutes et tous pour vos contributions !

Valeria Barouch

Hugo, Flaubert et Cie sur le Righi
(Prose pantounée)

Le village se blottit entre deux montagnes,
Entre la porteuse de malheur et la Reine*.
S’en aller ou rester pour trouver ses cocagnes?
J’ai pris la route pour revenir plus sereine.

Photo : Valeria Barouch, tous droits réservés Cliquer pour agrandir

La vue idyllique de Goldau qui s’offre aujourd’hui aux touristes depuis le Righi ne laisse guère deviner le destin néfaste qu’avait subi le premier village en 1806, lorsque le flanc du Rossberg d’en face s’était mis à glisser, enterrant en quelques minutes le village et tous les êtres vivants sous des dizaines de millions de m3 de roches.

En 1839, Victor Hugo laissa planer son regard depuis la Kulm – le sommet de la Reine – sur le village reconstruit et un vallon dont la nature n’avait pas encore repris possession. Il décrit ses impressions alpines avec moultes détails dans les missives à son épouse en disant notamment : « …on devient statue, on prend racine à un point quelconque du sommet. L’émotion est immense. »

Victor Hugo conquit le mont Righi
A pied, avec sa verve pour tout bagage.
Les palabres sans fin me rendent groggy
Je préfère le pantoun, ce court-métrage.

Si les uns voient défiler dans leur imagination toute l’histoire suisse en contemplant le lac des Quatre-Cantons et le panorama enchanteur, d’autres se meurent d’ennui.**.

Les attraits de la Reine laissait Flaubert froid,
Son parnasse était le désert et Carthage.
Dans ma chaumière, l’ennui est sans emploi ;
Il suffit d’un livre et je me crois en voyage.

En 1878, Mark Twain a probablement battu le record de la lenteur. Parti avec un ami à pied, bien que depuis 1871 le premier train à crémaillère d’Europe était en fonction, ils mirent trois jours au lieu de trois heures. L’herbe douce invitait un peu trop souvent au repos, à fumer une pipe en admirant le paysage et les auberges étaient accueillantes.

Les levers du jour sur le Righi sont illustres ;
Mais Mark Twain a dormi jusqu’à l’astre couchant.
Pour déclarer ta flamme n’attends pas des lustres
Et qu’un autre excelle en mots d’amour et de chant.

Photo : Valeria Barouch, tous droits réservés Cliquer pour agrandir

Le Righi porte encore un autre nom, « Île montagne » et à juste titre. Il est entouré de trois lacs et par temps très clair, on peut en distinguer jusqu’à 13 en tout, ainsi que 620 sommets.

***

Si les écrivains et les peintres ont célébré en tout temps notre Reine, mon cœur garde le souvenir impérissable de la forêt sauvage aux abords du village de mon enfance. La forêt s’appelle le « Schutt ». Ce mot signifie gravats, décombres. La nature avait finit par imposer sa loi dans ce chaos d’immenses rochers, les couvrant de mousses épaisses à l’abri d’une végétation dense d’épicéas et de feuillus. Les gravats énormes, empilés pêle-mêle et formant en bien des endroits de petites grottes, s’étaient transformés en un lieu magique.

Alice suit un lapin et change de taille
Pour s’aventurer dans un monde très bizarre.
Une grotte, un feu, de modestes victuailles
Transforment un enfant en indien ou hussard.

La nature détruit, puis répare
Pour que l’homme ne fasse naufrage.
Au loin, de mon cœur parfois s’empare
Le désir de rendre à la Reine mes hommages.

Photo : Valeria Barouch, tous droits réservés Cliquer pour agrandir

Notes :
*Le Rigi (Righi pour les francophones) est appelé la Reine des montagnes suite à une confusion étymologique dans le passé « Regina montium », alors que le mot « Rigi » fait référence aux strates horizontales de la roche.
https://digital.idiotikon.ch/idtkn/id6.htm#!page/60753/mode/1up
**2 juillet 1874 Lettre à Tourguéniev depuis Kaltbad, Flaubert parle « d’immense ennui »

***

Michel Betting

Quelque part sur la côte de Coromandel
Dans un port elle était poissonnière
Comment ne pas repenser à elle
En descendant du débarcadère

Sur la côte de Coromandel
Souffle une brise parfumée
Comment résister à l’appel
De mes sens ébouriffés

Au large de Coromandel
Croisent moult navires
Dès que je pense à elle
Mon cœur chavire

Sur les hauteurs du village
Jardins et vignes se partageaient le terrain
Je marchais dans son sillage
Gravissant escaliers et chemins

Tout le jeudi après-midi
Sur la glace dans la neige nous jouions
Toujours l’oiseau se souvient du nid
Où il a été oisillon

***

Marie Derley

L’avion atterrit pour l’escale
sans jamais vraiment s’y arrêter.
J’ai navigué dans la capitale
sans jamais vraiment m’y apponter.

La couleur des jours d’octobre démissionne
dans ce pays de bois, de champs et de villages.
Tu colores mes jours comme un soleil d’automne
qui métamorphose en or le vert des bocages.

Les mirabelles du pays d’enfance
dansent dans un bocal d’épais sirop.
De ce temps-là, quelles réminiscences ?
Les fruits d’un arbre et la saveur des mots.

La langue française est un pays
dessiné par le temps et l’histoire.
Par le jeu des mots et des écrits
je fais miroiter son territoire.

***

Armelle Grellier-de Calan

En chemin, on croise parfois
Des amis du même pays.
En Pantouns, j’ai toujours la foi :
Mon pays, c’est la poésie.

Le puits grince, l’eau est tarie
Dans le hameau.
Dans son grand âge, elle est a souri
Sans aucun mot.

La douceur angevine aurait ravi Ulysse
Et lavé sur sa peau les sels de l’air marin.
J’aimerais revenir au bord du précipice
Où ma source a jailli au doux creux de tes reins.

La rumeur souvent maligne
Donne à chacun des prétentions…
Dans ma ville un peu trop digne
Je n’ai pas de réputation.

Pantouns de mon ciel breton

Les pétales juste éclos
Résisteront au crachin.
Notre amour tout juste éclos
Se soucie peu des embruns.

Le doux voile de la brune
Glisse un rideau sur les toits.
Ton village sous la lune
Abrite nos doux émois.
.
Sous l’averse quotidienne,
Les herbes folles ont poussé.
Ta maison devenue mienne
S’est peu à peu délabrée.

***

Olivier Gabriel Humbert

Depuis la Pointe du Grouin, on voit la nuit
Qui descend sur la Baie du Mont-Saint-Michel…
Entre chien et loup, après deux jus de fruit,
On s’étend près des vagues de l’archipel.

Le sujet de la conférence lyonnaise :
Les mystérieuses Arêtes de Poissons…
Sur son fish and chips, beaucoup de mayonnaise.
Sérieuse, elle dit « j’aime mon poison » !

Abondance tu as distribué ton nom
À un val, à des vaches et un fromage.
Abondantes, les chutes de neige sont
Des embûches puis des moments de partage.

***

Cédric Landri

Combien de ruelles planquées,
Combien de discrètes maisons ?
Combien de sentiments cachés,
Combien de secrètes passions ?

***

Mavoie

Quelque part dans les Monts du Lyonnais

Suite villageoise

Tout blanchi de rosée
Brullioles sort de son rêve
Courez jolies pensées
Alimenter ma sève

Un coq sur son clocher
A tous vents s’étourdit
Et moi je suis troublée
Par les mots interdits

Revenu de sa nuit
Le bar central s’ébroue
Dans mon p’tit noir ici
Je lis des mots très doux

Pour faire les magasins
Le bourg est trop petit
Cultiver son jardin
Est un meilleur parti

Le Mont Pothu parade
Les genêts jaunes exultent
Au printemps c’est l’aubade
Papillons d’or en rut

Triptyque

En terrasse l’été
Robe toute fleurie
Automne est arrivé
Sentiments ont jauni

La fontaine rouillée
Hocquète des sanglots
Place des Fusillés
Mon âme est en lambeaux

Auberge du Vallon
La musique y résonne
Mais dans mon verre ballon
Un vieil amour frissonne

***

Jean de Kerno

Suite impressionniste

Sur un pantoun de Mavoie

Les pans de mur jaunes de ton église
Brullioles ont séduit tant d’autres Elstir
Vélo sans petites roues : un enfant vise
le vantail de l’église et tombe sous un tableau.

L’ombre du clocher jaune de Brullioles
s’écrase au beau milieu de la place.
D’un souvenir d’enfant l’auréole
descend sur un passant qui passe…

Lumière jaune dans les vitraux
Sur le village le soleil s’éteint
Brullioles pays des bigarreaux
Village mien sans être mien

Brullioles l’ombre de ton clocher
de pierres dorées s’est dissipée dans la nuit
Devant la douleur
tiens-toi droit

***

Yann Quero

Loin de chez soi

Naufragé de nulle part,
as-tu encore une patrie ?
Plus rien n’est sous les cieux,
rêver de sa fratrie.

As-tu encore une patrie,
homme jeté sur la plage ?
Au-delà de la folie,
quel vain vagabondage.

Homme jeté sur la plage,
sais-tu seulement pourquoi ?
Errer jusqu’à quel âge,
avant de rentrer chez soi.

***

Jean-Marc Sire

Cheng Chau island

Souvent, le week-end, les Hongkongais s’échappent en ferry
Pour aller passer quelques heures sur l’île de Cheung Chau.
Dans mon biscuit chinois, je trouve un message qui me dit
Que ça fait bien trop longtemps que je n’ai pas pris le bateau.

Vancouver island

Sur les plages de sable qui bordent la côte ouest canadienne,
On peut trouver les tests d’un oursin qu’on appelle Sand Dollar.
Sur les plages de graviers qui hantent les méandres de la Seine
On ne trouve que des tessons de verre et des bancs de brouillard.

Ile de Berder

Le courant de la Jument est bien trop fort
Le voilier renonce, abat et repart.
Envasé, le canal de la Haute Seine s’endort
Envahi par les feuilles des nénuphars.

***

Véronique Viala

Sur le lac d’Aiguebelette
Se lève le vent Farou
Esquisse, ta silhouette
Se dissipe, devient floue

Dans les falaises du Banchet
Mandrin camoufla ses trésors
Je ne sais où tu t’es caché
Mais moi je te cherche encore

Il neige sur les chemins
Les collines sont plus douces
Ses pantoufles dans mes mains
Mon père entre paume et pouce